– Extrait n°3 L’étoile des sables 1 : La houri

Laeta et Cami attendirent que le banquet soit servi pour agir. Trois cents musiciens et danseuses agrémentaient tous les soirs les festins offerts par le Calife à sa cour. Les convives, qu’ils soient des courtisans de la Porte d’or, des ambassadeurs ou des princes étrangers, ne manquaient jamais les régals prodigués par le plus grand souverain du monde. Elles se faufilèrent à travers les couloirs désertés jusqu’à la grande salle de jade. Elle avait des allures fantomatiques, presque sépulcrales, avec ses grandes statues grimaçantes et ses colonnes épaisses. Le clair de lune extérieur la remplissait d’ombres inquiétantes. Qui pouvait être cet empereur inconnu qui avait eu l’idée d’offrir au Calife un présent si saugrenu ? Dragons la gueule ouverte? Sheitans sortis des enfers ? Djinns terrifiants ? Que pouvaient bien représenter ces monstres de pierre ? Elles ne s’attardèrent pas et poussèrent jusqu’à la salle des trois sirènes. Cami claqua la porte au nez des créatures de la salle de jade et alluma une chandelle. Trois belles femmes à queue de poisson, également de pierre verte, ornaient les murs de cette petite antichambre. La pièce semblait, par ailleurs, n’avoir aucune utilité. Comme le lui avait indiqué Nedjma, Laeta appuya fortement sur les yeux de la plus petite des sirènes, celle qui était en face de la porte. Un craquement sec. Une porte dissimilée dans le mur venait de s’entrouvrir. Elle était cachée par la statue. Laeta et Cami s’y introduisirent et refermèrent derrière elles.

– Saya ! chuchota Laeta sans oser parler plus fort de peur de déranger les ténèbres.

Elles gravirent un escalier étroit, puis marchèrent un long moment dans l’obscurité. Lorsqu’elles aperçurent un peu de lumière devant elles, elles soufflèrent leur propre bougie. Elles n’étaient pas rassurées au milieu de ces grandes ombres, surtout qu’il leur semblait entendre comme un léger piétinement. Elles avancèrent tout de même, en se tenant la main, dans un silence presque absolu. Elles débouchèrent dans une petite pièce étrange, éclairée par quelques trous dans les murs qui laissaient filer de minces traits de lumière perpendiculaires à la paroi. Puis, ce que Laeta avait pris pour une troisième Caryatide, car il y  en avait deux qui encadraient un autre passage qui aboutissait ici, se mit à bouger. Il y avait quelqu’un ! Laeta retint son souffle et se plaqua contre la paroi en compagnie de son amie. Un homme tout enturbanné de noir était occupé à regarder par les trous. Ses vêtements étaient si sombres que s’il n’y avait pas eu ces filets lumineux, il eut été complètement invisible. Il testait l’ensemble des trous, méticuleusement, un à un. Laeta transpirait, elle repoussa délicatement Cami et amorça avec elle un mouvement de recul. Qu’il les voie et ce pouvait en être fini d’elles. À peine avaient-elles commencé à s’éloigner qu’un grincement se fit entendre. Puis plus rien. Plus de piétinement, ni même la respiration de l’homme. Elles attendirent, indécises, immobiles, puis se risquèrent à jeter un œil au coin du mur. Il avait disparu. Il n’était pas non plus à les attendre en embuscade dans l’autre couloir secret, celui qui était bordé par les deux guerrières de pierre. Cami, bientôt imitée par Laeta, se jeta sur un des trous et observa. Des chambres. Ils permettaient d’espionner discrètement les suites d’invités qu’on logeait dans cette aile. Ils étaient probablement cachés dans les hauts-reliefs des murs, derrière des miroirs sans tain ou dans des tapisseries. Plus de traces de l’espion.

– Regarde ! murmura Cami. C’est le manteau que portait le prince Zahid, et là, ce doit être celui de l’imam Neshkré. Ils ne sont pas là…

Laeta observa à son tour.

– Il doit y avoir un passage pour y accéder… C’est ce qu’il a dû faire. Continue de regarder, je rallume la bougie.

La lueur de la chandelle dévoila une unique porte de pierre. Elle était si basse, qu’on l’aurait cru taillée pour un nain. Elle avait bien une clenche mais il y manquait la poignée. Il y avait un trou carré à la place. Laeta saisit la plus grosse des babioles qui pendaient à son bracelet : une tige oblongue et anguleuse de métal. Elle y introduisit une aiguille perpendiculairement et en fit une poignée improvisée. La porte s’ouvrit aussitôt. Elles empruntèrent un  conduit d’à peine quarante centimètres de large jusqu’à une porte dérobée. Cette dernière débouchait dans une alcôve, derrière une grosse potiche, dans un couloir éclairé par de nombreux chandeliers. Il était désert. Elles se dirigèrent aussitôt vers une des nombreuses portes qui s’ouvraient ici. Celle qu’elles supposaient donner dans la suite du prince. Laeta s’escrima de longues secondes sur la serrure avec ses outils, alors que Cami observait de tous côtés. Elle l’ouvrit enfin. Tout était calme. Elles entrèrent en trombe dans la chambre et reconnurent le manteau du prince.

– Vite ! chuchota Laeta.

Les appartements n’étaient constitués que de trois pièces dont on avait négligé d’éteindre les chandeliers. Laeta se mit à fouiller la chambre principale alors que Cami tenta sa chance dans celle de gauche. Vite ! Dans les coffres ! Sous les couvertures… sous les manteaux… Mais où pouvait être caché ce livre ? Si tant est qu’il soit là… Rien ! Les minutes défilaient aussi vite que la tension montait. Laeta essayait de reposer bien en place tout ce qu’elle soulevait pour laisser le moins de traces possible. Un grand sac de cuir ! Elle l’ouvrit et retint son souffle. Il était rempli d’ouvrages. Elle le vida sur le sol et entassa fébrilement chacun des livres tout en lisant les titres. «Yskandar le grand» c’était celui-ci ! Son maître serait satisfait. Par acquit de conscience, et pour parer à une éventuelle ruse, elle l’ouvrit et parcourut quelques lignes :

« La seconde grande bataille livrée par Yskandar aux parses eut lieu à Issos. Cette fois, le roi Darius assumait personnellement le commandement de sa gigantesque armée… Mais peut-on s’opposer à la volonté des dieux ?… Perdiccas fit mille prouesses, il était un des plus fidèles d’Yskandar. Descendant d’un demi-dieu, il était invulnérable hormis à sa jambe gauche. Il défit, à lui seul, cent cavaliers… Yskandar promenait partout son regard cherchant à distinguer Darius… »

Laeta sursauta et se retourna en entendant un bruit derrière elle. Trop tard ! L’homme en noir était là. Il était arrivé plus silencieux qu’un fennec. Il l’attrapa par le col et la plaqua contre le mur.

– Pour qui travailles-tu, sale petite voleuse !