– Extrait n°1 L’étoile des sables 1 : La houri

La galère venait juste d’être amarrée à un des gros rochers gris de l’ancien port de Pamyr. Il était situé à l’extérieur de la cité orientale. Quelques bâtisses de torchis blanchies à la chaux, vestige d’un ancien village, presque toutes reconverties en entrepôts et en postes de garde, bordaient la rive rocheuse. Pamyr avait été érigée sur l’estuaire du Gordain, un fleuve qui descendait des monts de sable. La région était accidentée, rocheuse, les récifs noirs et plissés, racines solides de la montagne, affrontaient fièrement la mer violette. Les hautes murailles claires de la cité s’érigeaient à plusieurs encablures en amont d’une colline garnie de broussailles desséchées. La plus vieille des portes de Pamyr s’ouvrait au bout d’un chemin blanc, poussiéreux et caillouteux qui serpentait depuis le vieux port. Plus au sud, des remparts neufs avaient été construits jusqu’à la mer, ils protégeaient le port intérieur de Pamyr et son quartier, bâtis autour de l’estuaire. Les nouvelles constructions tranchaient avec celles de la ville antique, les moellons y étaient plus blancs, mieux assujettis, bien taillés. Les anciennes murailles étaient érodées, polies par les vents de sable et les tempêtes de la mer violette, parsemées de fissures dans lesquelles de petits buissons rabougris avaient tant bien que mal réussi à pousser, pleines d’anfractuosités qui faisaient le délice des colombes et des mouettes. L’ancien port n’avait plus pour vocation essentielle que l’entretien des navires, mais certains marchands le préféraient à celui de la cité. Ce n’était pas une histoire de taxes, elles étaient les mêmes. C’était simplement une question de marchandises. La medress de Pamyr faisait sa réputation, elle avait été construite à l’extrémité nord de la ville, sur un des points les plus élevés, on y dressait des esclaves de plaisir depuis des siècles. Sa masse claire et crénelée avait une vocation défensive, les pentes qui montaient vers les hauteurs nord de Pamyr, bien que très dégarnies, n’étaient pas si abruptes qu’on aurait pu le penser. La cité se déroulait, toute en déclivité, depuis les hauteurs couronnées par la forteresse de l’émir et la medress, jusqu’à l’embouchure du Gordain et la mer.

Lorsque la passerelle de bois fut jetée jusqu’à la galère, Boike fut le premier à la franchir. Borgne, au teint presque noir, il avait une barbe longue et sale qui débordait largement sur son caftan au violet très défraîchi. Il lança un grand sourire à de vagues connaissances et fit quelques pas guillerets sur le port. La chaleur des cités orientales et leur soleil de plomb lui avaient manqué. Il n’était pas fâché d’en avoir terminé avec ce voyage : la mer des ombres avec ses monstres, ses mystères et ses fantômes, c’était sans doute ce qu’il redoutait le plus. Mais toute chose a un prix, et pour faire des affaires avec les Mingols, il fallait en passer par là. Puis, il se retourna vers son navire tout en frappant dans ses mains et en donnant un ordre sec. Le contremaître, un colosse vêtu d’une peau, un ogre, tira sur la longue chaîne.

Laeta, assise à côté de Cami, ne disait rien depuis un moment, elle était absorbée par tout ce qu’elle voyait. Ça avait d’abord été les montagnes de sable, puis les collines broussailleuses et enfin les murailles blanches de la ville. Pamyr, sa cité, celle où elle avait grandi. Elle humait maintenant l’odeur caractéristique du port, iodée, fraîche, rassurante. Tant de souvenirs lui revenaient. Elle se leva soudainement, surprise, entraînée par la chaîne qui reliait son collier aux poignets de la fille brune qui était devant elle. Elle aussi avait les mains enchaînées dans le dos. Les liens se tendant, elle entraîna Cami dans sa suite. Elles débarquèrent toutes sur le port, franchissant la passerelle agitée des soubresauts de la houle, sous le regard connaisseur de Boike le marchand d’esclaves.