– Extrait n°2 L’étoile des sables 1 : La houri

Cami et Laeta étaient fébriles. Elles se dépêchaient. Elles s’étaient verni les ongles des mains et des orteils. Toutes les deux avaient choisi la même teinte, un rouge sombre. Elles s’étaient parées de bijoux, il y en avait de toutes sortes dans les commodes du harem où Gazim les avait menées. Des bracelets aux bras et aux biceps, des chevillères, des bagues ornées de pierres, des ceintures de cuivre brillantes, des boucles d’oreilles, elles n’avaient rien négligé. Toutes deux avaient pu prendre un bain et se parfumer. Elles en étaient à choisir parmi les tenues de danseuses celles qu’elles allaient porter. L’angoisse se lisait sur leur visage, Gazim avait été clair, elles n’avaient pas droit à l’erreur lorsqu’il les présenterait à leur maître. Elles choisirent les mêmes couleurs chaudes, autour du bordeaux, afin de ne pas se démarquer l’une de l’autre. Elles se vêtirent de voiles vaporeux et transparents qui ne cachaient rien de leurs charmes. Laeta réajusta la ceinture de Cami, puis se passa deux bagues aux orteils. Elles étaient toutes les deux pieds nus.

– Dépêchez-vous, esclaves ! fit la grosse voix de Gazim de l’autre côté de la porte.

– Nous sommes presque prêtes, maître, répondit timidement Laeta.

Laeta, l’estomac noué, s’assit sur un des gros coussins aux taies de soie de l’antichambre. Cami se blottit contre elle, la tête sur ses genoux. Elle tremblait. Laeta l’enlaça affectueusement.

– Ça ira, Cami, dit-elle doucement. On va lui plaire…

Cami soupira.

– J’ai peur, Laeta, je n’y peux rien.

– Moi aussi, j’ai peur.

Les yeux de Laeta s’égarèrent sur sa main, elle était couverte de bijoux. Des petites chaînettes d’or entrelacées de fleurs ornées de pierreries reliaient son bracelet à l’anneau qu’elle portait au majeur. On lui avait laissé sa bague d’argent aux pierres d’améthyste, elle avait également pu conserver les bracelets que Latifa lui avait rendus, ceux qui cachaient ses outils. Mais à quoi bon ! Laeta regarda le harem où elles étaient enfermées. Une cage dorée dans tous les sens du terme. Elles y étaient depuis quelques jours. Il y avait plusieurs pièces luxueuses, pour elles toutes seules, parées de soies et de draperies précieuses. Elles s’étaient choisies chacune une chambre avec un grand lit au baldaquin de bois rare. Le second jour, Gazim leur avait apporté toute une garde-robe : des vêtements pour esclaves de plaisir. Elles avaient un bassin délicatement ouvragé de mosaïques, dans une salle entourée de colonnades, une pièce dédiée aux arts et un petit salon en plus de l’antichambre. Cette dernière était fermée par une grille aux barreaux d’or forgé, tout en courbes, imitant des flammes, semblables à ceux qui fermaient les trois fenêtres du harem. La porte d’ivoire était située trois ou quatre mètres au-delà de la grille. Elles ne l’avaient jamais repassée, et n’avaient quasiment rien vu du reste de la tour. Gazim avait assisté à chacun de leurs repas, les regardant comme des oiseaux en cage depuis l’autre côté de la grille. C’est lui qui en avait la clef. Une grosse clef d’or. En dehors de cela, elles avaient aperçu de la ville ce qu’en laissaient voir les fenêtres: une cité magnifique aux dômes d’or ovoïdes surmontés d’aiguilles décorées de motifs divers, des palais blancs entourés de minarets d’argent, et une foule de maisons et de jardins imbriqués les uns dans les autres. Gazim frappa fortement dans ses mains. Les filles se levèrent et se tinrent devant la grille. La porte d’ivoire, à l’arc outrepassé brisé, révéla le colosse noir. Il vint leur ouvrir et les emmena jusque dans une pièce tapissée d’un chef-d’œuvre d’Iskiandre. Face à elle, surélevé de quelques marches, se tenait un trône vide. Chacune était de part et d’autre de Gazim. Toutes deux se prosternèrent face contre terre, aussi bas qu’elles le purent. Après de longues minutes, quelqu’un arriva et s’assit négligemment sur le trône.

– Levez-vous ! ordonna-t-il d’une voix un peu aiguë.

Elles se relevèrent avec grâce tout en gardant la tête baissée. Leur maître était là, même dans cette position, elles le voyaient. C’était un homme à la peau cuivrée, sombre, un Shamyrien plutôt sec. Il n’avait pas la quarantaine, il aurait été difficile de lui donner un âge. Vêtu d’une robe de soie rouge aux signes cabalistiques cousus d’or, il avait vraiment une allure de prince. Un peu retors. Il portait une barbiche noire bien tressée dans laquelle brillaient des éclats d’or. Son regard était ténébreux, incisif, animé d’une flamme. Il dévisagea longuement les deux jeunes femmes avant de faire un geste brusque de la main les invitant à se découvrir. Laeta remarqua les anneaux qu’il portait, son collier, ses boucles d’oreilles, c’était un adepte de l’or. Comme Cami, elle écarta ses voiles et les laissa tomber sur le sol, se révélant dans toute sa nudité. Il admira de longs instants les deux jeunes femmes, puis, toujours sans un mot leur fit signe de se retourner. Là encore, il fut satisfait. Il frappa dans ses mains. Laeta et Cami se tournèrent respectueusement vers lui et s’agenouillèrent.

– Je m’appelle Ash-al-Azyr, je suis un mage, le maître de la tour du feu de Shamyria. Je suis également un prince de cette cité, mais cela n’a pas d’importance. Vous m’appartenez désormais : pour vous, je suis tout. J’attends de mes esclaves un dévouement sans limites, une fidélité absolue. Les plaisirs de la chair ne seront pas la seule manière dont vous me servirez… J’avais demandé deux princesses étrangères, êtes-vous des princesses ?